Fondu au noir : le distributeur de films

L’interview de la semaine

06/11/2024

Fondu au noir : Le distributeur de films

Le distributeur ou la distributrice de films est un intermédiaire entre les producteurs de films et les diffuseurs : salles de cinéma, chaînes de télévision, sites internet. Après la production d’un film, les producteurs lui confient la mission d’assurer la commercialisation et la diffusion du film dans les différents circuits d’exploitation. Monsieur « Fondu au noir » a été distributeur de films il y a plus d’une dizaine d’années. Son métier, il l’a vu évoluer. Le cinéma, il l’a vu se développer. Découvrez son histoire, dans l’interview de cette semaine.

FONDU AU NOIR

Son histoire et son métier

Fondu au noir : J’ai 75 ans et je vais vous raconter comment j’en suis arrivé à mon métier de distributeur de films. Déjà tout petit, tout gamin, mes parents aimaient énormément le cinéma. À l’époque il y avait très peu de personnes qui avaient la télévision. Quand il y en avait une elle était en noir et blanc, et il n’y avait qu’une seule chaîne. Le cinéma en famille, c’était la sortie! On mettait nos habits du dimanche et on allait au cinéma.

Danièle-Nicole : En grandissant, avez-vous continué à aller au cinéma une fois par semaine?

Non j’ai commencé à y aller plus souvent, deux fois par semaine. J’y allais le jeudi en matinée parce qu’il n’y avait pas école le jeudi à l’époque. J’y allais ensuite le dimanche après-midi ou en matinée.

Qu’appréciez-vous particulièrement au cinéma?

Tout! Tout me plaisait! J’allais de plus en plus au cinéma et cela m’a permis d’acquérir une culture cinématographique. Quand je regardais un film je retenais la musique, le nom du réalisateur, des acteurs principaux. J’ai une mémoire fantastique. Quand on aime quelque chose, on retient d’autant plus.

Vous avez été distributeur de films. Avez-vous fait des études de cinéma?

Non pas du tout. J’ai eu un bac+2 et j’étais très bon en français. J’aimais écrire, j’avais de l’imagination. Après mes études je suis allé à l’armée et c’est à mon retour que je me suis mis à travailler.

Avez-vous directement travaillé en tant que distributeur de films dès votre retour de l’armée?

Oui directement car il y avait des gens qui voulaient monter une agence de distribution de cinéma à Lyon. C’était la Warner Bros dont le siège était à Londres.

Sans formation préalable dans le domaine, comment êtes-vous parvenu à vous faire embaucher?

Ils ont sollicité des directeurs de cinéma pour trouver une personne passionnée de cinéma car c’était la condition sine qua non. Ils me connaissaient puisqu’ils me donnaient de temps en temps des places gratuites, des exonérés. Sans le savoir, ils m’avaient surnommé Fondu au noir. Le fondu au noir est une technique au cinéma où l’écran noircit progressivement jusqu’à ce que l’écran devienne tout noir. Les directeurs sont donc venus me chercher chez moi. Après avoir discuté une heure avec eux, ils m’ont dit que c’était moi qu’ils voulaient.

Est-ce qu’ils vous ont formé par la suite?

Oui ils m’ont formé. Je connaissais la moitié des choses. Je savais ce qu’était une affiche, 1m sur 1m60, des photos d’exploitation, des dossiers de presse.

Avez-vous travaillé pour la même agence durant toute votre carrière?

Non j’ai eu à changer d’agence. J’étais à la Warner et après je suis passé à Columbia. C’était le jeu des chaises musicales. Quand je quittais mon poste un autre prenait ma place et moi, je prenais la sienne. C’était un milieu fermé, cloisonné. Il n’y avait même pas le métier de distributeur de films dans les offres d’emploi publiées dans les journaux ou à l’ANPE devenue aujourd’hui France Travail.

Comment se déroulait la distribution d’un film?

Je louais le film aux salles de cinéma, je ne le vendais pas. Les films étaient vendus dans un package qui comprenait un très bon film, deux films moyens et deux navets, deux mauvais films.

Savez-vous si la distribution des films se déroule toujours de la sorte?

Tout a changé! Tout se passe maintenant par internet alors qu’à mon époque on utilisait encore le minitel. Les salles de cinéma payent les agences de distribution qui leur envoient un code en ligne. Elles ont accès au film pour une durée limitée, durant la durée de location.

Y a-t-il quelque chose que vous déplorez en repensant à la manière dont s’exerçait autrefois, votre métier de distributeur de films?

Oui il y a ce contact avec les exploitants de cinéma qui n’existe plus. Les directeurs de gros cinémas et les petits exploitants indépendants aimaient discuter avec les distributeurs de films. Ils discutaient ensemble sur les films. Aujourd’hui c’est juste une transaction. Il n’y a plus ce côté passion. Le film est distribué et c’est tout! C’est maintenant le business. André Malraux avait raison avec sa célèbre phrase : Le cinéma est un art; et par ailleurs, c’est aussi une industrie.

Son regard sur le cinéma

Que représente le cinéma pour vous? Comment le définissez-vous?

Le cinéma c’est un fauteuil, un écran, et terminé!

De nos jours les cinémas innovent que ça soit au niveau des sièges, du son ou de l’image. Que pensez-vous de ces différentes améliorations pour une meilleure immersion du spectateur?

J’ai essayé et pour moi ce n’est pas du cinéma! Vous avez la 4DX que j’ai essayée une fois et c’est lamentable! Vous êtes assis sur votre siège et si dans la scène il y a du vent, vous sentez le vent avec les tuyaux de votre siège. Si c’est de l’eau, vous en recevez en plein visage. En plus quand ça bouge, votre siège bouge. Les gamins adorent ça mais pour moi, ce n’est pas le cinéma.

Regrettez-vous le cinéma d’autrefois? Quels sont les changements que vous déplorez?

Je trouve le cinéma maintenant assez vulgaire; aussi bien dans les scènes que dans les paroles. Les films manquent aussi de crédibilité. Le type reçoit 20 coups de pied et 20 coups de poings mais il reste debout comme s’il n’avait rien reçu.

Au niveau du son et de l’image, quels changements notoires pouvez-vous souligner ?

Il y a une nette amélioration de la qualité de l’image et du son. Tout ce qui est technique a évolué. Personnellement je trouve que le numérique a maintenant des teintes un peu grises; c’est pas flashant. À l’époque du technicolor les teintes étaient meilleures! Là tout est pastel; c’est fade.

Vous êtes cinéphile. Quels sont vos genres de films préférés et quel est votre film préféré?

Moi j’aime les films qui parlent de cinéma, qui en font la critique ou l’éloge. Mon film préféré c’est Sunset Boulevard, en français Boulevard du Crépuscule. C’est un film de Billy Wilder. Il y a un moment où un réalisateur demande à Gloria Swanson qui joue le rôle d’une actrice tombée dans l’oubli, pourquoi elle ne tourne plus. Sa réponse est cette phrase mythique : Je suis une grande, ce sont les films qui sont devenus petits.

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Danièle-Nicole

Fondatrice de PAPI

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