Une saison des pluies à Douala

UNE SAISON DES PLUIES À DOUALA

17/06/2025

Danièle-Nicole : Bonjour Clarisse Magnékou. Au mois de mars vous étiez présente au Salon du Livre Africain de Paris. Nous avons eu à échanger quelques mots lors de cet évènement. Aujourd’hui c’est dans un cadre moins bruyant, loin de la foule grouillante que nous allons nous entretenir longuement. Comment allez-vous ?

Clarisse Magnékou : Bonjour ma chère Danièle-Nicole. Effectivement, nous avons eu la chance de nous rencontrer lors du Salon du Livre Africain de Paris, en mars. Ça a été une très belle expérience pour moi. Je vais très bien ce matin, et vous- même ?

Je vais très bien aussi, merci. C’est toujours un plaisir de vous entendre. Est-ce que le Salon du Livre Africain de Paris était le premier évènement auquel vous participiez pour présenter votre ouvrage ?

Non, le Salon du Livre Africain n’a pas été le premier évènement auquel j’ai participé pour présenter mon roman. J’ai eu l’occasion de le présenter en juillet dernier à la Radio Télévision Camerounaise, juste à sa sortie. C’était en pleine saison des pluies à Douala. Ça a été très bien accueilli et je tiens à remercier l’équipe de la Radio Télévision Camerounaise qui m’a fait l’honneur de partager mon expérience en tant qu’écrivaine et qui m’a permis de communiquer auprès du lectorat de Douala, du Cameroun, sur ce qui m’a motivée à écrire ce roman.

J’ai également eu l’occasion de présenter mon roman à l’Unité de recherche en Lettres de l’Université de Maroua dans l’extrême Nord du Cameroun. C’est un centre de recherches en littérature dirigé par le Professeur Carole Langa Njiomouo, que je tiens à remercier encore. C’est une belle initiative qu’elle a eue pour me permettre de profiter du retour d’expérience et de la vision des chercheurs sur un ouvrage comme celui-là. Ça a été une expérience très riche.

J’ai également présenté mon roman dans une médiathèque en France. Je continue d’échanger avec des librairies et différents acteurs, pour promouvoir ce livre.

Le Salon du Livre Africain de Paris fin terminé, étiez-vous très satisfaite ? Aviez-vous atteint vos objectifs escomptés par rapport à cet évènement ?

J’ai beaucoup apprécié ma participation à ce Salon. J’ai trouvé un lectorat curieux, passionné par différents thèmes et différents univers romanesques. J’ai pu vendre des exemplaires de mon livre. Je suis repartie comblée ! Ça a été une expérience très enrichissante. Je tiens à remercier Monsieur Eric Monjour qui chaque année se mobilise pour le succès de cet évènement. C’est pour moi un bel espace qui crée des ponts entre les cultures, qui permet de mettre en visibilité les univers et les réalités africaines, et de faire la promotion des écrivains africains. Pour moi jeune écrivaine, je trouve que c’est une démarche gratifiante. Je tiens donc à le remercier pour son engagement pour faire vivre le roman africain.

Votre livre s’intitule UNE SAISON DES PLUIES À DOUALA. C’est un roman qui ne parle pas de climat ni de météo. Ce titre est une métaphore qui sied bien à l’histoire racontée par la petite fille de douze ans. Avez-vous choisi le titre avant, pendant ou après la rédaction de l’intégralité de l’histoire ?

Le titre de mon roman « Une saison des pluies à Douala » est effectivement une métaphore pour symboliser le cycle permanent de la vie, avec cette alternance entre le positif et le négatif. Douala, c’est la capitale économique du Cameroun. Cette ville est connue pour la violence extraordinaire de ses orages et de ses pluies. Des pluies qui riment avec pertes humaines, pertes matérielles dues aux inondations, et détresse. La pluie ce n’est pas uniquement le symbole de la dévastation. C’est aussi le symbole de la renaissance, de la nature florissante, et de la force agricole d’un pays.

Dans mon roman, je démontre que le départ du père du domicile familial peut être un événement d’une violence inouïe mais, cet événement, peut être aussi quelque chose de transformationnel. On va voir la mère de famille se relever, renaître, s’appuyer sur les différents soutiens qu’elle va obtenir – le soutien des tontines, le soutien des réseaux féminins, le soutien de ses amis -. Elle va monter des projets, elle va être dans l’action de manière continue. Elle va montrer l’exemple à ses enfants.

Le titre provisoire n’était pas très satisfaisant. Il s’est avéré au fil de l’écriture moins adapté à l’évolution des habits que j’ai fait porter aux différents personnages. Après des échanges en intelligence collective en famille, un titre nouveau est apparu grâce à mon époux. J’aime beaucoup la justesse et la pertinence de ce titre final qui a d’ailleurs été validé par mon éditeur. Je trouve qu’il reflète bien les différents messages que je voulais transmettre à travers mon roman.



L’histoire narrée dans votre livre est une fiction. Elle pourrait être l’histoire vraie d’une personne sur terre. Vous êtes-vous inspirée du témoignage d’une personne que vous connaissez ? Quelle a été votre source d’inspiration ? Pour quelle raison avez-vous pris la décision d’écrire cette histoire ?

Mon roman est une fiction inspirée de faits et d’évènements réels. Déjà petite, j’ai vu ma meilleure amie traumatisée par le départ de son père du domicile familial, pour rejoindre un autre foyer. C’est quelque chose qui m’a profondément perturbée. J’ai eu peur que mon père parte lui aussi un jour ou l’autre mais il a été très présent dans nos vies. Mes parents ont élevé des cousins abandonnés par leurs pères. J’ai donc grandi dans cet environnement de pères qui partent, qui abandonnent leurs enfants. Malheureusement aujourd’hui encore, ça reste visible. J’ai des amies, des cousines qui élèvent seules leurs enfants et nous sommes en 2025. On voit bien que ce fléau n’est pas près de disparaître et c’est notre responsabilité collective de le dénoncer.

Mon roman vise vraiment à sensibiliser la société toute entière à ce fléau qui crée des dégâts d’ordre psychologique, d’ordre émotionnel, et qui appauvrit des familles.

Laisser des enfants à la charge de la mère seule, c’est vraiment couper des ailes à ses enfants, c’est maintenir une famille dans la pauvreté. Ça c’est insupportable ! Cela crée aussi le phénomène des microbes, ces enfants des rues que l’on voit dans les grandes villes du Cameroun. Je voudrais que la société se demande où sont leurs pères ? Que font-ils dans la rue, ces enfants ? À quel moment on en est arrivé là ? Franchement, ce n’est pas digne d’une société. Ce n’est pas digne !

Je tiens à rendre hommage à toutes ces femmes qui de par le monde élèvent seules leurs enfants. Donc les pères qui partent sans se retourner, sans laisser un sou à leurs enfants, ce n’est pas une réalité spécifique au Cameroun. C’est un fléau que l’on voit à travers le monde et c’est une honte ! Les pères doivent prendre leur place pleinement à la maison, pour l’épanouissement de leurs enfants, parce que les enfants sont l’avenir d’un pays. Les enfants sont la bonne santé d’un pays.

Le déclic pour écrire ce roman a été cette succession de faits et d’évènements que je viens de partager avec vous. Je peux ajouter que la vraie goutte d’eau qui a fait déborder le vase et m’a poussée à prendre la plume, c’est un échange que j’ai eu il y a environ trois ans avec une petite cousine. Elle m’a annoncé que le père de son enfant était parti sans se retourner, sans laisser un sou. Ça m’a mise tellement en colère… Je n’ai pas compris ce geste irresponsable.

Chers pères, prenez votre place pleinement s’il vous plaît. Un enfant se conçoit à deux, et s’élève à deux. Un enfant a aussi besoin de la présence de son père. C’est vital pour un enfant que son père ne l’abandonne pas ! C’est vital pour son bien-être émotionnel, pour sa croissance. Arrêtez d’abandonner vos enfants comme si c’étaient des brebis galeuses.

Lorsqu’on parle de familles monoparentales, on s’attend généralement à ce que ça soit une mère qui élève seule ses enfants. Néanmoins, la monoparentalité concerne également les hommes. Vous vous êtes inspirée d’histoires réelles où les pères se sont dédouanés de leurs responsabilités, en disparaissant du jour au lendemain. Auriez-vous écrit s’il s’agissait de situations où se sont les femmes qui cette fois-ci avaient délaissé leurs enfants, même si l’on pointe rarement du doigt, de telles mères qui agissent ainsi ?

Ce sont en majorité les pères qui abandonnent leurs enfants à la charge des mères seules. Il ne s’agit pas d’opposer les pères et les mères mais de montrer, de rappeler cette réalité là. Cette réalité dont nous sommes responsables collectivement . C’est crucial de faire bouger les lignes. Un père a toute sa place dans la parentalité. Il doit pleinement prendre sa place.

Culturellement on semble encore considérer trop souvent que l’enfant c’est d’abord et avant tout, l’affaire exclusive des mères. Non! Disons NON à cela!

Bien sûr qu’il y a des mères qui abandonnent leurs enfants.

Être un enfant abandonné que ça soit par le père ou la mère, c’est grandir avec le cœur qui saigne, c’est grandir avec les ailes coupées. Comment peut-on s’épanouir pleinement, devenir un adulte épanoui dans ces conditions?

Je voudrais m’attarder un peu sur la société africaine. Lorsque ce sont les mères qui abandonnent leurs enfants, parfois la grand-mère ou la tante prennent le relais. Le fait de tisser des relations étroites avec sa grand-mère ou sa tante va aider l’enfant à avancer dans la vie, avec l’absence de la mère. On voit là encore que l’éducation de l’enfant est une affaire de femmes. Encore une fois la femme est au cœur de l’enfance, et l’homme a tendance à être absent. Faisons bouger les lignes! Encourageons les hommes à prendre pleinement leur place dans la société, dans la parentalité.

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Danièle-Nicole

Fondatrice de PAPI

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